Родион Щедрин

SOUS L’EMPRISE DU MIRACLE (suite)
auteure : Marina Kochetova

Le 23 novembre, un essai consacré au 100ᵉ anniversaire de Maïa Plissetskaïa a été publié sur les pages du journal en ligne « Nacha Ottawa ». En tant qu’auteure de ce texte, j’y ai partagé les émotions ressenties au contact de l’Étoile, auprès de laquelle j’ai eu la chance de me trouver dans la Loge impériale du Théâtre Mariinsky lors du ballet Le Petit Cheval bossu, sur la musique de son époux Rodion Chtchedrine. Ce soir-là, inoubliable, Chtchedrine (c’est ainsi, et non par son prénom, que Maïa Mikhaïlovna aimait l’appeler) se trouvait lui aussi dans la Loge impériale…

Le 16 décembre, le compositeur Rodion Chtchedrine aurait eu 93 ans. Mais il nous a quittés quatre mois plus tôt, à la fin du mois d’août. C’est donc le moment de partager, ne serait-ce que brièvement, mais avec émotion, des souvenirs inoubliables le concernant.

Je n’ai jamais été une admiratrice inconditionnelle de l’œuvre de Rodion Konstantinovitch. À vrai dire, je ne connaissais que sa musique de ballet, écrite spécialement pour M. Plissetskaïa. Ce soir-là, Chtchedrine restait délibérément dans l’ombre de sa femme géniale. Il se comportait avec une grande modestie, presque timidement, la regardant avec tendresse et des yeux amoureux, comme s’ils étaient encore en lune de miel et non après des décennies de vie commune. Il refusa même de monter sur scène pour les saluts afin de ne pas éclipser la Grande Ballerine.

Comme je l’ai déjà mentionné dans mon essai sur M. Plissetskaïa, ma présence dans la loge était liée à une courte visite à la direction du ballet du Théâtre Mariinsky, avec laquelle j’entretiens des relations particulières. Le lendemain matin, après le ballet, je m’y suis rendue pour assister aux cours et répétitions. Et l’on me dit soudain : « Tu peux voir les cours et répétitions quand tu veux. Va plutôt au Mariinsky-2 (le nouveau bâtiment du théâtre à l’époque — et mon laissez-passer me permettait d’entrer partout sans difficulté), dans une demi-heure aura lieu un événement intéressant : l’inauguration officielle de la salle Chtchedrine. » J’y suis allée. L’entrée était libre, aucun billet n’était vendu. Dans la salle intime, il n’y avait que des proches, comme on dit.

À l’entrée, j’aperçus Chtchedrine en conversation avec des invités. À ma grande surprise, il me reconnut ! Il me salua personnellement en me serrant la main et me demanda si le ballet de la veille m’avait plu. Il ne savait pas qui j’étais, mais se souvenait de moi parce que nous étions assis côte à côte dans la loge la veille. On n’accède pas à la Loge impériale par hasard ; il en conclut sans doute que j’avais un lien direct avec le théâtre, ce que confirmait en quelque sorte ma présence à l’inauguration de la salle portant son nom. À mon grand étonnement, après avoir parlé du ballet, Rodion Konstantinovitch me demanda si j’allais le soir même à son opéra Le Gaucher. Je répondis honnêtement que je prenais un train tard le soir pour Toula. Sa réponse fut surprenante : « Mais Le Gaucher vient de Toula ! Vous devez absolument voir et entendre cela ! Venez dans la même loge. Je donnerai l’ordre qu’on vous laisse entrer ! »

Lorsque je suis revenue une heure plus tard à la direction du ballet, tout le monde savait déjà, d’une manière ou d’une autre, que Chtchedrine m’avait personnellement adressé la parole. « Eh bien, Marina, tu fais fort ! Pourquoi n’en as-tu rien dit plus tôt ? Il s’avère que tu connais Chtchedrine ?! » C’est ainsi que naissent les rumeurs… J’expliquai ce qui s’était réellement passé et parlai de l’invitation à l’opéra. On me conseilla de ne pas refuser et de partir discrètement après le premier acte afin de ne pas manquer mon train. C’est ce que je fis. Chtchedrine n’est pas “mon” compositeur, l’opéra n’est pas mon genre. Mais un sentiment de participation m’enveloppa de la tête aux pieds. Chtchedrine est considéré comme une légende vivante, un génie du XXᵉ siècle capable de créer un univers entier à partir de sept notes.

Le destin m’a offert de nombreuses rencontres exclusives avec de véritables Étoiles de premier plan. Après chacune d’elles, je parviens toujours à la même conclusion : plus l’oiseau vole haut, plus il se montre modeste, plus sa manière de communiquer est délicate, plus son attitude est bienveillante. Chez les simples mortels, hélas, tout est exactement à l’inverse… Réfléchissez-y, chers lecteurs !